A New Delhi, après plusieurs séjours à Paharganj, je délaissais le quartier des hôtels pour routards, et pris pour habitude de m’arrêter pour quelques roupies de plus à l’Ashok Yatri Niwas, hôtel revendiquant officiellement 5 étoiles mais qui n’en valait officieusement pas la moitié.
L’avantage est qu’il possédait plusieurs centaines de chambres et vous étiez certain, même en arrivant tard, de trouver un lit. Delhi tout comme Bombay ou Calcutta sont des villes surpeuplées où le moindre hôtel est pris d’assaut, et mieux vaut se lever tôt si vous ne souhaitez pas rejoindre la longue cohorte de ceux qui dorment dans la rue.
Bien que ce soit un hôtel gouvernemental, les tarifs quoique déjà accessibles de l’Ashok Yatri Niwas étaient négociables pour peu que vous sachiez négocier. Les chambres vastes mais ascétiques que n’auraient pas reniées le mahatma Gandhi n’étaient pas d’un grand luxe, ni d’un grand confort, bétonnées du sol au plafond, et l’eau quoique courante ne fonctionnait, comme l’électricité, que par intermittence.
L’autre avantage était sa salle de restaurants, un food court immense avec des centaines de tables bien plus nombreuses que les clients. Vous pouviez ainsi manger chinois, thaï, japonais, et différentes cuisines indiennes du Nord au Sud.
Au milieu trônait, le maître des lieux : un énorme four tandoor, prononcez tandouuuur, d’où sortaient régulièrement naan, chapati, poulet tandoori, poisson tikka, kulcha, kebab, tikka boti et bien d’autres viandes rôties.
Ce type de four en terre cuite ou en argile dont la température dépasse les 400°C et que l’on trouve dans toute l’Asie du Sud-Est, ressemble au four à pain que nous connaissons. Les galettes sont humidifiées puis collées aux parois et on les retire avec une sorte de pince à épiler version XXXXXL. Les viandes et poissons marinent toute une nuit dans un mélange de yaourt et d’épices puis sont embrochés et posés sur une grille au-dessus de la braise.
Généralement ce qui distingue un tandoor d’un banal four à pizza est son ouverture au-dessus en cheminée. Qui a voyagé en Inde, revoit aisément ces hommes extirpant du four avec dextérité et rapidité, chapatis et naans. Délicieuses galettes faisant office de pain et que vous dévorez encore chaudes presque croustillantes et qui érigent un simple dhal en mets de choix.
Mais dans le cas qui nous concerne, l’ouverture était sur le côté. Sans doute en raison de sa taille monumentale. Détail qui, on le verra plus loin, a toute son importance.
Les voyages m’éloignèrent de Delhi pour un temps. Deux années s’écoulèrent, lorsque j’atterris à nouveau à l’aéroport Indira Gandhi. Etrangement aucun taxi n’accepta de me déposer à l’Ashok Yatri Niwas. Tous les chauffeurs, frappés d’amnésie soudaine, ignoraient son adresse et jusqu’à son nom. L’hôtel et ses restaurants avaient semble-t-il disparu, rayés de la carte de Delhi.
Je ne suis pas de nature à abandonner facilement. J’ai fait mienne la maxime « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends ». Mais je n’appris rien, les chauffeurs indiens eurent raison de ma volonté. Affaiblie il est vrai par le souffle brûlant de l’air et l’heure plus que tardive.
De mauvaise grâce, j’acceptai un autre hôtel dont je préfère taire le nom et l’adresse tellement il mérite peu l’intérêt.
Je ne laissais pas passer une année avant de revenir à Delhi et comptais bien séjourner à l’Ashok Yatri Niwas. Quelle ne fut pas ma stupéfaction, lorsque j’appris le fin mot de l’histoire que je vais vous raconter telle que je l’appris en feuilletant les pages du quotidien « Indian Express ». Plus connu sous le nom de « Tandoor Murder Case » l’hôtel fut le théâtre d’un drame en juillet 1995 qui provoqua sa fermeture.
Surprise occupée à téléphoner à son amant, une femme ne pensa pas à la loi de Murphy. Elle eut tort car elle acheva son existence d’une balle, tirée par l’arme à feu de son mari jaloux, et dans le four à tandoori avec l’ouverture sur le côté du restaurant de l’hôtel Ashok Yatri Niwas.
(Jean-Pierre Gimenez)