Chronique de la série « Midnight Diner: Tokyo Stories »

Concours, Écrits

Fin gourmet et très sensible à toutes découvertes culinaires et cinématographiques, je me lance à l’assaut de cette série japonaise sans trop savoir à quelle sauce je vais la dévorer.

Le cadre et la constitution de chaque épisode sont on ne peut plus simples et identiques, tout se passe dans un petit restaurant de Tokyo où un chef balafré et peu loquace sévit. Cet homme sage qui pèse chacune de ses paroles y tient un unique petit menu mais susurre à qui veut l’entendre qu’il peut tout faire sur mesure « s’il a les ingrédients ». Ce petit lieu de vie(s) a la particularité d’avoir des horaires d’ouverture peu classiques, en effet il est ouvert de minuit à sept heures du matin, ce qui ne l’empêche pas de rencontrer un franc succès.

Il a également l’originalité d’avoir un comptoir en « U » organisé autour de la cuisine faisant office d’une unique grande table, forçant alors tous les gourmets à s’assoir à côté d’inconnus. Pas un restaurant glamour ou intimiste ni un établissement respectant l’actuelle distanciation sociale. Qu’à cela ne tienne, quitte à manger entouré d’inconnus autant apprendre à les connaître.

Et c’est bien ce postulat qui mène à une nouvelle histoire car oui, vous ne verrez pas un protagoniste dans deux épisodes, chacun traite d’un nouveau récit, le seul lien entre tous est le « Maître » comme l’appelle les clients, le chef qui par son oreille attentive et sa bienveillance participe à la résolution des problèmes de ses gastronomes.

Vous l’aurez compris, malgré le nom, l’élément central n’est pas la « gastronomie », mais chaque « repas » servi déclenche ou accompagne l’intrigue. Il est d’ailleurs amusant de noter que tous les épisodes portent le nom d’un plat différent, car à l’instar des protagonistes, les spécialités du chef sont éphémères, tant mieux, on va découvrir un nouveau plat à chaque épisode !

Si vous ne voyez pas le chef réaliser entièrement la recette, vous aurez quelques savoureux gros plans sur une partie des préparations. Le tout sans musique ou dialogue, pour compenser le goût et l’odorat absents de nos écrans par la mélodieuse musique d’oignons rissolants ou autres omelettes gonflantes. Une sorte d’ASMR mettant étrangement notre ventre en éveil. A voir la passion de l’expérimenté chef et les louanges de ses clients, il n’y a pas de fausses notes dans cette symphonie d’arômes. Si votre langue reste sur sa faim, celles des protagonistes se délieront, le saké aidant, révélant des personnages hauts en couleur ou ayant manifestement besoin d’un peu d’aide ou d’affection.

Si ce lieu a tout d’un bar : horaires, comptoir et même le chef qui pourrait s’apparenter à un barman à qui l’on se confie, il s’agit bien d’un endroit où les couche-tard viennent chercher du plaisir gustatif même si la compagnie semble leur plaire. Dans une ville (et un pays) où la société est tournée autour du travail et non de l’épanouissement personnel, le restaurant semble être le lieu idéal pour livrer ses états d’âme.

Une ancienne vedette de série télé préférant l’anonymat, un comique dont la popularité est mise à mal par celle de son assistant ou encore une timide tricoteuse amoureuse transie, les histoires de vie sont toujours différentes mais le chef a plus d’un tour dans son sac pour arranger la situation. Parfois le plus savoureux des repas ne peut pas remplacer un conseil, une question ou une suggestion, calmement donnés : sans être intrusif le chef arrive toujours à toucher les cœurs, peut-être est-ce là la vraie recette de son succès ?

Toujours est-il qu’après toute une saison on ne sait toujours rien ou presque de lui, pourquoi ouvrir un restaurant à cette heure-ci ? Qui lui a fait cette cicatrice sur la joue ou encore est- il marié ? Surtout, fait-il de la cuisine parce qu’il aime régaler les gens ou pour soigner des blessures ?

C’est peut-être la raison qui pousse les spectateurs à regarder l’épisode suivant quand Netflix le propose, en plus de découvrir de nouvelles recette et intrigue on aimerait également avoir un indice sur son passé. Malheureusement la série n’apportera pas vraiment de réponses à cette question, à vous d’imaginer le parcours de cet homme.

Ces épisodes d’une vingtaine de minutes environ, soit la durée d’un repas, se picorent avec appétit. Bien que la réalisation soit très sobre, je retiendrai avant tout l’ambiance dans laquelle vous plonge la série, un lieu bienveillant et gourmand préservé du tourisme, le genre de lieu que l’on aimerait vraiment trouver en allant visiter une ville inconnue pour s’imprégner pleinement de la vie de ses habitants. Puis l’ambiance sonore de la cuisine qui est un vrai appel à sortir les casseroles. Les protagonistes sont tous attachants et bien qu’un épisode soit un peu trop court pour découvrir toute la profondeur de chacun d’entre eux, on s’amusera à imaginer leur parcours pour voir ce qui les a menés là, attablés à ce « resto de minuit », prêts à se faire cuisiner par le chef.

Seul bémol de cette série : la manque de fil rouge, une histoire qui accompagnerait les épisodes de saison en saison, celle du chef ou d’un client, qui permettrait de se dire qu’un épisode ne s’ouvre pas et ne se conclut pas sans y apporter sa pierre à l’édifice global.

Chaque épisode (hormis le premier) se finit par un petit conseil cuisine sur la recette dont il était question. S’adressant face caméra, les personnages vous parlent, vous incitant presque à reproduire la recette que vous venez de voir.

Je ne pourrai pas vous montrer mes yeux à travers cette chronique, mais si vous êtes épicurien, avide de découvertes, et qu’en plus vous aimez le Japon, n’hésitez pas à regarder cette série qui s’étale presque comme un baume réconfortant sur vos propres blessures dès les premières notes de musique envoutantes de chaque épisode.

Série crée par Jōji Matsuoka, avec Kaoru Kobayashi.

2 saisons de 10 épisodes de 25’ env.

Tirée du manga de Yarō Abe  « Shinya Shokudo »,  La Cantine de minuit en français édité par Le Lézard Noir.

Première diffusion 2009, sur Netflix depuis 2016.

Nicolas Bosc

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