La fille de la supérette – Sayaka Murata

Concours, Écrits

Bonjour.
Moi c’est Keiko, j’ai 32 ans et je travaille au Konbini à mi-temps.
Je pourrais m’arrêter là n’est-ce pas ? En une phrase, je me suis déjà rangée dans une case étriquée de cette société dure à apprivoiser.
Je suis certaine que vous vous posez des questions qui relèvent plus de l’incompréhension que de la curiosité. Vous vous dites sûrement qu’à mon grand âge, je ne peux plus me permettre de travailler à temps partiel, dans une supérette qui plus est.
Que je devrais viser plus haut. Pour empocher un salaire digne de ce nom et m’acheter une maison hors de prix avec un grand garage où ranger ma Tesla sur les falaises d’Okinawa…

Mais pourquoi faire ?
Mes journées seraient les mêmes au final.
Je me lèverais en trainant des pieds à l’aube pour revenir chez moi aux aurores en ressassant les éléments barbants de ma journée de travail ennuyeuse. Et je serais obligée de faire ça si je veux gagner mon salaire astronomique pour payer ma maison hors de prix avec un grand garage où ranger ma Tesla sur les falaises d’Okinawa, c’est tout mon salaire qui passera là dedans puisque je me serais endettée sur des années.
Ma vie ne changerait pas d’un poil, mon bocal serait simplement un peu plus grand.

Elle me plaît, cette place que j’occupe dans la société.
Je sais quel rouage je représente dans cette immense machine complexe.
Ça tourne rond, je me sens normale, et c’est suffisant.

 

Giulia